67. Paradoxe

En classe de seconde ma professeure de français nous faisait analyser des extraits de textes très courts, deux ou trois lignes tout au plus. Je revois vaguement la page du manuel où se succédaient tous ces fragments. Pour celui qui se trouvait tout en bas à droite elle avait finit par nous dire, après un silence qui ne faisait que confirmer notre faible capacité cérébrale : « Mais enfin, c’est évident, l’auteur évoque ici la grande paradoxalité du monde ». Cette phrase me revient souvent à l’esprit, tout comme les 6,5/20 qu’elle m’a mis tout au long de l’année. 

Mon paradoxe à moi, je crois, c’est mon rapport à la langue.
Je viens d’une famille qui parle peu, surtout ma mère. J’ai longtemps souffert du fait de devoir parler pour exister socialement car moi aussi, je parle peu. Que j’aille bien ou mal. « Toi quand t’étais pas bien, tu ne parlais pas » me racontait ma mère. De fait, l’écriture, rêver à travers des films ou observer des animaux (et manger aussi ok, j’avoue) ont souvent été des refuges face à cette difficulté à m’exprimer avec des mots.

Et pourtant, comme dit la chanson d’Aznavour, j’ai orienté ma vie autour du langage. En étudiant l’anglais puis en vivant en Angleterre. En œuvrant pour la promotion de la langue française puis en décidant d’apprendre l’italien. En vivant en Italie et en trouvant un travail italo-anglais dont l’objectif, au fond, est tout simplement de réussir à faire naître un langage commun entre des personnes de cultures et de parcours différents. C’est joliment décrit, et peut-être y verrez-vous un excès de lyrisme. Mais un peu plus de poésie et un peu moins de marketing dans ce monde, s’il-vous plaît.

Mon rapport à la langue française a évolué.
Quand je vivais en Angleterre j’avais décidé de me couper radicalement de la langue française. Je ne voulais pas d’amis français, je ne voulais plus regarder de films français ni écouter de musiques françaises. Radical. Un jour pourtant, dans le bus 956 qui me conduisait de Birmingham à Streetly, ce petit coquin d’Ipod a profité de mon inattention matinale pour mettre la chanson Ma plus belle histoire d’amour de Barbara. Pendant l’espace d’un instant, j’ai écouté ma langue comme si elle m'était étrangère. C’était une sensation unique, que je ne revivrai sûrement plus.

Quand je suis arrivée en Italie, ma langue est devenue une force, un outil stratégique pour déclencher des conversations, me faire connaître professionnellement. Vivre à l’étranger, parler une autre langue, c’est comme revêtir un costume qui nous protègerait et nous libèrerait de nos craintes. Mais les rôles semblent aujourd’hui s’inverser. Après 3 ans en Italie, première fois que je vis aussi longtemps à l'étranger, je ressens en effet le besoin de ma langue, de mes pensées, de ma peau. Ma langue est devenue un refuge, je re-sens les mots. C’est là également une sensation nouvelle que je devais matérialiser par l’écrit pour mieux la comprendre et mieux me comprendre en ce moment.

Une langue, comme disait un invité d’Eva Bester l’autre jour, c’est une manière de construire le sens (sens entendu ici comme une direction). C’est une façon de s’orienter dans le monde. Moi qui pourtant arrive à me repérer comme personne (à part les pigeons) dans l’espace urbain, je crois que j’ai besoin de retrouver mon sens de l’orientation. Beau paradoxe.

Méli-mélo de photos depuis juin dernier pour vous rassurer sur le fait que, même si le français me manque, la vie en Italie et la langue italienne me fascinent toujours et même bien plus qu’avant.

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